Un tirailleur sénégalais portera la flamme olympique en Seine-Saint-Denis

Un tirailleur sénégalais portera la flamme olympique en Seine-Saint-Denis
JOP Paris 2024
  • Agé de 91 ans, Oumar Diémé, ancien tirailleur sénégalais qui a longtemps vécu à Bondy, sera l’un des porteurs de la flamme olympique, le 25 ou 26 juillet prochain, lors de son passage en Seine-Saint-Denis.
  • Le Département l’a proposé comme porteur de flamme au Comité d’organisation de Paris 2024, y voyant là une manière d’honorer tous les soldats coloniaux qui ont longtemps été des oubliés de l’histoire.
  • Pour cet homme qui a notamment servi dans l’armée française au moment de la guerre d’Indochine en 1953, porter la flamme serait une manière de « défendre les valeurs de la République, mais aussi de représenter l’Afrique. »

« Ce serait un grand honneur » Au téléphone, Oumar Diémé nous parle depuis Dakar, mais sa voix s’éclaire immédiatement quand il apprend que l’appel provient de Seine-Saint-Denis. « Ah, comment va mon département ? » Cet ancien tirailleur sénégalais, qui a longtemps vécu dans un foyer à Bondy, est sélectionné et fera partie des 200 porteurs de la flamme olympique lors de son passage dans le département, le 25 ou 26 juillet prochain.

« A travers Oumar Diémé, c’est l’ensemble des combattants africains issus des anciennes colonies françaises, dont l’histoire, ponctuée de sacrifices, est liée de manière indissoluble à la nôtre, que nous voulons mettre à l’honneur. », écrivait ainsi le président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel à son retour de Dakar, en novembre, où il avait justement rencontré l’ancien tirailleur, à l’initiative notamment d’Aïssata Seck, élue d’opposition de la ville de Bondy.

Depuis 2008, celle qui est présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais s’est beaucoup investie pour tirer de l’oubli ces hommes âgés aux silhouettes discrètes, qu’elle voyait aller et venir sur le marché de Bondy.

« Avoir un ancien tirailleur sénégalais porteur de la flamme serait un symbole fort. Ce serait redonner une présence à cette part oubliée de l’histoire coloniale, comme l’a fait avant ça le film Tirailleurs de Mathieu Vadepied », souligne Aïssata Seck.

En Indochine de 53 à 54

Ce film, sorti en janvier dernier, racontait la plongée sombre et désespérée de deux Sénégalais dans la première Guerre Mondiale, précipités dans ce conflit parce que nés français au temps de la colonisation. Pour Oumar Diémé, le conflit est un peu plus récent, mais pas moins douloureux : la guerre d’Indochine, alors possession française. « Après 6 mois de formation à Saint-Louis, on m’a désigné pour faire partie d’un détachement pour aller en Indochine, raconte l’ancien soldat. Le 29 octobre 1953, on partait pour l’Indochine et le 8 décembre, on nous a emmenés par avion en direction du Tonkin, au nord Vietnam. On y est restés jusqu’à la fin de la guerre en avril-mai 1954.»

L’ancien combattant n’en dira pas plus. C’est Aïssata Seck qui comble les trous : « Oumar Diémé a été très éprouvé par la guerre d’Indochine, comme tous les autres tirailleurs. A la base, il ne souhaitait pas y aller, il se demandait tous les jours ce qu’il faisait là. Se retrouver face à des personnes qu’ils devaient considérer comme des ennemis alors qu’ils comprenaient leur souhait d’indépendance, c’était difficile… », explique celle dont le grand-père maternel a lui aussi été envoyé en Indochine.

Pire, après ce conflit long et terrifiant, pas de répit : la puissance coloniale française veut encore engager ses troupes dans une autre guerre, celle d’Algérie. « Mais en pleine mer, dans le bateau qui devait nous amener à Oran, il y a eu une mutinerie, livre encore Oumar Diémé. Les types se sont révoltés, ils disaient qu’il n’était pas question d’aller en Algérie. »

Une naturalisation obtenue au terme d’un long combat

« Grâce » à cette rébellion, Oumar Diémé peut enfin rentrer chez lui, au Sénégal, mais ce n’est pas là son dernier combat. Les autres seront administratifs, comme celui, mené dans les années 2000, qui le voit réclamer sa nationalité française. De 1992 à 2023, tout un groupe d’anciens tirailleurs sénégalais vit en effet à Bondy, en foyer pour travailleurs, dans des conditions difficiles. L’Etat leur refuse la nationalité française, eux qui sont pourtant nés dans la France coloniale et se sont battus pour elle. Et les contraint à vivre 6 mois en France, loin de leur famille, pour avoir droit à leur pension d’ancien combattant. C’est l’époque où le petit groupe rencontre Aïssata Seck, qui mobilise l’opinion. Le tout aura une issue heureuse et débouchera sur la naturalisation de 41 tirailleurs africains en 2016 sous le mandat présidentiel de François Hollande.

Alors, porter la flamme pour tous les anciens soldats africains, pour ceux qui ne sont plus là ou ceux qui ne peuvent plus marcher sera « naturellement un honneur » pour Oumar Diémé. « On a toujours voulu défendre les valeurs de la République, mais porter cette flamme, ce serait aussi représenter l’Afrique », soutient cet homme fort qui, à 91 ans, coule désormais des jours paisibles entre Dakar et Bignona, son village de naissance en Casamance. « Un village réputé pour le grand nombre de lutteurs sénégalais (une forme de lutte traditionnelle) qu’il a formés », souligne Oumar, visiblement amateur de sport.

En juillet 2024, on verra donc la longue silhouette d’Oumar, peut-être aidé de son fils Elage brandir la flamme olympique et passer dans les rues de Bondy, au nom de tous les combattants africains engagés par la France dans ses conflits et rapidement oubliés depuis.

Christophe Lehousse

Découvrez les premiers noms de celles et ceux qui porteront la flamme en Seine-Saint-Denis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *