«A 19 ans, la première fois que je suis rentré dans le dojo du Blanc-Mesnil, j’ai eu l’impression d’entrer dans un temple, un truc de malade. De suite, j’ai eu envie de m’y entraîner», se souvient Danyil Zoubko (22 ans).

Aujourd’hui, licencié à l’Etoile Sportive du Blanc-Mesnil, le Français, d’origine ukrainienne, évolue «dans une ambiance très familiale, j’y croise des judokas venus de tous le département, des judokas de quartiers riches et des quartiers où ils crèvent la dalle. Même très pris par mes entraînements à l’INSEP, j’adore y aller, au moins, une fois par mois, entraîner des 12-13 ans. Ils ont faim de victoires…».

Formé à Dugny, Larbi Benboudaoub a été le premier à monter le judo du 93 sur le podium de l’Olympe. Après un titre mondial et deux titres européens, une médaille olympique d’argent en 2000, il est devenu entraîneur de l’équipe de France féminine, l’artisan d’une cascade de médailles. olympiques, mondiales, européennes…

«Les jeunes ont tellement besoin de bons exemples…»

Depuis qu’il a dû plier son kimono d’entraîneur en décembre 2020, Larbi Benboudaoud (50 ans) s’occupe des relations internationales à la Fédération Française toujours un œil sur le 93 : «En fait, ce département a juste un très gros potentiel dans tous les sports. Ce potentiel se ressent et se voit plus au judo où des moyens et des structures lui permettent de mieux grandir, s’épanouir et atteindre l’équipe de France. Le judo et ses judokas en équipe de France donnent le bon exemple. Et actuellement, les jeunes ont tellement besoin de bons exemples…».

    D’évidence, une multiplication des clubs augmenterait «la possibilité  de former encore plus des judokas de haut niveau». Naturellement, Larbi Benboudaoud aime «ce judo du 93 où il n’y a aucune barrière, où tout le monde, homme, femme, bien né ou pauvre, tout le monde à sa chance, où ce n’est pas l’argent qui te permet d’être à tel ou tel niveau mais, juste où tu as ta chance parce que tu as su la saisir en étant juste le/la meilleur(e). Ici, t’es bon, t’es pris !».

Un fief de «revanchards»

A Neuilly-Plaisance où elle a vécu vingt-deux ans, la triple championne du monde et quintuple championne d’Europe Gévrise Emane a fait valser, à l’âge de 13 ans, ses premières adversaires. Sur ce dojo nocéen, la médaillée olympique de bronze de 2012 a aussi passé son BEES 1er degré et, aujourd’hui, son BPJEPS.

Toujours ancrée dans le 93, ce cadre d’Etat (41 ans), devenue vice-présidente en charge des relations internationales et activation Paris2024 à la Fédération Française de Judo estime qu’«Il y a une identité forte lié à ce département doublée d’une grande diversité. Il y a une volonté de tout donner pour faire taire les commentaires, reproches et stigmatisation. Il y a des jeunes, garçons et filles, curieux dotés de grandes qualités physiques, techniques et tous revanchards».

“Au judo, les filles marquent leur territoire”

Depuis 2020, la native de Rosny-sous-Bois Frédérique Jossinet (48 ans) est vice-présidente de la Fédération Française de Judo en charge du haut niveau. Aujourd’hui, la médaillée olympique d’argent de 2004 constate ce potentiel au fil de ses comités de sélection «que ce soit pour le judo, le jujitsu, le kata ou le para-judo, c’est un bassin pourvoyeur à champions».

Au premier coup d’œil, ces talents se repèrent vite : «Au judo, on s’impose ou on s’adapte, résume Frédérique Jossinet. Ceux du 93 ont une réelle, presque instinctive, capacité aux deux, notamment les filles qui, dès 14-15 ans, n’ont peur de rien. D’entrée, elles s’adaptent très vite aux codes de ce sport de combat arrivant, d’ailleurs, très souvent, elles aussi, avec leurs propres codes. Un peu Heckel et Jeckle, à l’image d’Audrey Tcheuméo et Madeleine Malonga, elles ont un fort caractère sur le tatami et adorables en dehors».

Serait-ce la racine de leur ascension plus rapide en équipe de France que leurs camarades ? «Au judo, les filles marquent leur territoire puis, ne le lâchent plus, constate Frédérique Jossinet. Moi, de 16 à 25 ans, même si j’étais à l’INSEP, je rentrais tous les soirs chez mes grands-parents à Neuilly-sur-Marne. Née dans le 93, je restais, avant tout, 93 avec ce même profil…».

Entraîneur d’Audrey Tcheuméo, de la Congolaise Marie Branser et de la Turque Kayra Sayit, Omar Gherram (63 ans), âme partagée entre Montfermeil et Villemomble, analyse ainsi la montée plus rapide des filles : «Dans le 93, c’est un judo des pauvres, surtout pratiqué par des enfants issus de générations de l’immigration. Mais, ils aiment la France et ils aiment se battre pour la France. Via le sport, via le judo, ils prennent un billet pour la réussite. Dans ce nid de champions, les filles, plus mâtures, plus à l’écoute, plus reconnaissantes, attrapent cette opportunité à bras le corps, et, ne la lâchent pas. En confiance avec leur entraîneur, elles deviennent des vraies guerrières, des lionnes».

Et les garçons, alors ? «D’abord, ils aiment bien faire pote-pote avec l’entraîneur, poursuit Omar Gherram. Une fille dès qu’elle perçoit pouvoir réussir, elle voit l’équipe de France. Un garçon s’évalue, trop souvent, par rapport à son collectif masculin de départ, y ronronne parfois un peu, s’en satisfait trop, alors que les lionnes ont fait du chemin. D’ailleurs, en général, une lionne est bien plus dangereuse qu’un lion !»

Retour aux racines

Depuis deux ans, la Noiséene Asma Niang (41 ans), judokate sous les couleurs du Maroc, deux fois quatrième sur huit participations aux championnats du monde, six fois championne d’Afrique, âme de Noisy depuis trente ans, y est revenue se licencier dans le club de ses débuts : «La Seine Saint-Denis me tient tellement à cœur ! Y revenir, revenir à Noisy-le-Grand qui m’a beaucoup soutenue, revenir à mes racines pour les remercier, pour leur confirmer, que nous avons beaucoup, beaucoup, de talents dans le judo, pour me mettre, aussi, à disposition, afin de partager, si besoin, mes expériences du haut niveau avec tous ceux qui me le demanderont. Ainsi, je voulais boucler la boucle avec ma ville et mon département…».

La relève est déjà là !

Les XXXlllèmes Jeux olympiques à Paris sonneront, plus ou moins, les pré- retraites de Teddy Riner (35 ans) et Clarisse Agbégnénou (31 ans). Pour sûr, «Teddy Bear» et «Le Bulldozer» ont certainement fait des p’tits entre Blanc-Mesnil, Bondy, Montreuil, Noisy-le-Grand et Villeparisis.

En tête de relève, pointent déjà Mathias Anglionin vice-champion de France junior 2023 (20 ans) formé au SO2J Saint-Ouen et depuis deux ans au Red Star Club Montreuil, , la Villepintoise Grace-Esther Mienandi-Lahou (19 ans), championne du monde et d’Europe chez les cadettes en 2022, ou, encore la vice-championne du monde cadette en 2023, Alyssia Poulange (18 ans) de Vaujours et licenciée au SO2J Saint-Ouen. La source de médailles ne semble pas tarie…

Sophie Greuil