- Paralympique
Para-athlétisme : Grâce à son élève, Vincent Clarico réapprend à entraîner…
Entraîneur du champion paralympique Charles-Antoine Kouakou, l’ancien hurdler (58 ans), qui a débuté l’athlétisme à Pierrefitte, ne voit pas son sprinteur «comme une personne en situation de handicap mental mais comme un sportif de haut niveau à part entière…».
Avant de rencontrer Charles-Antoine Kouakou dit «CAK», Vincent Clarico vivait dans le monde olympique. Entre ses premières haies à Pierrefitte, sa participation aux Jeux à Atlanta en 1996 (demi-finaliste) et ses consignes pour huiler le 4×100 mètres masculin tricolore lancé entre autres par Christophe Lemaitre, le natif de Saint-Denis était loin du monde paralympique.
Entraîneur à Antony Athlétisme 92, le triple champion de France sur 110 m haies fut d’abord approché, à la veille des Jeux paralympiques de Rio 2016, pour s’occuper d’un sprinteur, licencié à la Fédération Française du Sport Adapté (F.F.S.A.). Cette Fédération regroupe des athlètes licenciés en situation de handicap mental issus du champ médico-social et/ou clubs sportifs associatifs affiliés : un univers souvent éloigné des préoccupations du monde du haut niveau.
Cette première expérience lui laisse un goût amer : «J’ai découvert un monde où le destin de personnes en situation de vulnérabilité dépendait de la bienveillance ou la négligence de leur entourage. Le droit des personnes et leur consentement est souvent ignorés et où agir se heurte parfois au droit et règles juridiques établies. Avec cette première expérience humaine qui m’a fait découvrir un monde parfois cruel, je n’avais pas les moyens de développer le potentiel de cet athlète majeur mais dépendant d’un tiers».
DANS UN GROUPE DE VALIDES, «CAK» ATTEINT SON GRAAL !
Seuls trois sports de la F.F.S.A. sont au programme paralympique : le tennis de table, la natation et l’athlétisme avec uniquement quatre épreuves, dont le 400 mètres où Charles-Antoine Kouakou vise une nouvelle médaille à Paris 2024.
En 2018, la F.F.S.A. revient à la charge en lui présentant Charles-Antoine Kouakou : «Malgré mes doutes et mon manque de familiarité avec le handicap intellectuel, rien ne justifie d’exclure de la société ceux qui souffrent de déficience intellectuelle, révélant souvent ce qui est le plus souvent gardé secret : nos propres tourments et désordres collectifs. Ce qui m’a réellement guidé dans ma décision, ce n’était pas mon rôle d’entraîneur des équipes de France de relais, mais bien ma conviction profonde en tant qu’éducateur du sport. Ce sont ces rencontres humaines qui m’invitent à la tolérance et à l’acceptation des différences. En intégrant ce groupe, «CAK» a littéralement atteint son Graal, celui de s’entraîner avec des valides».
ENTRE RUBANS ET “MITRAILLETTES”...
Avec «CAK» sous son aile sur le tour de piste, Vincent Clarico découvre mieux ce nouveau monde paralympique : «Très vite, pour le faire progresser, j’ai dû remettre en question ma façon de lui expliquer les différentes situations pédagogiques et techniques. J’ai aussi réalisé que lui montrer un geste, qu’il reproduit, comme une vraie éponge, quasiment à la perfection, était bien plus efficace que tenter de lui expliquer».
Pour performer avec un sprinteur à la mémorisation lente et au vocabulaire limité, Vincent Clarico déroule dans la simplicité : «Quelque part, pour que ‘CAK’ me comprenne mieux et vite, j’ai dû me réinventer. Au lieu de lui parler de gauche et de droite, qu’il ne différencie pas, je mets un ruban à gauche et pas à droite. Au lieu de lui parler de premier et deuxième plot, j’installe des plots de couleur. Au lieu de lui parler de rythme, mot qu’il ne perçoit pas, je dégaine le mot «mitraillette» qu’il percute de suite…».
En 2021 à Tokyo, Charles-Antoine Kouakou devient champion paralympique sur 400 m en 47’63, au passage premier champion paralympique de la Fédération Française de Sport Adapté.
«POUR ALLER VITE, IL FAUT APPRENDRE LENTEMENT…»
Aller à l’essentiel dans la simplicité s’applique, aussi, parfois, à ses athlètes valides : «Grâce à mon expérience avec lui, j’ai aussi réduit le flot d’informations donné à mes athlètes, reconnait Vincent Clarico. J’ai aussi appris à être plus patient, à avoir moins peur de me répéter, 100 fois s’il le faut. Au final, pour tout athlète, pour aller vite, il faut apprendre lentement. Aujourd’hui, avec ‘CAK’, nous fonctionnons vraiment comme un tandem, presque comme un sprinteur non-voyant et son guide, sans pour autant être dans l’assistanat ».
Au passage, grâce à son sprinteur raffolant de paris ludiques sur le stade Georges-Suant d’Antony, l’entraîneur reste en forme : «Quand je joue le lièvre, prenant l’avance sur cinq à six foulées, challengeant ‘CAK’ de me rattraper, ça fonctionne super bien. Ainsi, ça m’oblige à être toujours en forme !»
DES MOTEURS POUR LES VALIDES ?
Aujourd’hui, désormais bien immergé dans le milieu paralympique, Vincent Clarico croise «des individus, à part entière, pour lequel le sport est une source d’épanouissement, comme les autres, aidant à valoriser l’estime de soi, comme les autres, ayant besoin d’entraîneurs experts, comme les autres. La première fois où j’ai mis les pieds dans un village paralympique, j’ai pris une claque parce que j’ai croisé des types de handicap que je ne pensais même pas possible. Comme tout athlète, ces personnes qui aiment se dépasser et sont souvent animées par une volonté farouche de progresser. Elles sont des vraies leçons de vie, de tolérance, de résilience, d’humilité, et, souvent de bienveillance, des moteurs voire d’exemples pour les athlètes valides. Les «Paras» ont aussi leurs stars qui sont juste des athlètes é-nor-mes».
A Paris, Charles-Antoine Kouakou (26 ans, depuis le 14 juillet) vise un second titre consécutif sur 400 mètres.
Son record personnel de 47’32 le place dans le cercle restreint des candidats à la finale, des moins 47 secondes dont le Brésilien Samuel Olivieira (46’59, le record du monde), un Equatorien, un Iranien, un Malaisien, un Mauricien et un Espagnol : «Au Stade de France, j’espère que le public sera au rendez-vous, parce que les mecs comme ‘CAK’ ne sont pas inhibés par la compétition ou une ambiance de dingue, espère l’entraîneur. Eux savent s’en servir pour littéralement se transcender. Des mecs comme ‘CAK’, il en faudrait dix en équipe de France!».
Sophie Greuil