Championne d’Afrique d’escrime en 2022, la Franco-Algérienne Zohra Kehli remet son titre en jeu à la fin de juin, au Caire. En attendant, elle mène de front carrière sportive, études d’histoire à l’université et engagement politique en tant que conseillère municipale à Bagnolet, sa ville d’origine et de cœur.

Dans son bureau, le décor est épuré : un trombinoscope des élus du conseil municipal accroché au mur, un présentoir gavé de dépliants et autres prospectus estampillés Ville ou Département, quelques bouquins entreposés sur une étagère, et c’est tout. Les photos personnelles et ses – déjà – nombreux trophées sont restés dans l’appartement familial du centre-ville de Bagnolet. À 22 ans, période charnière dans la vie, jalonnée de changements et d’étapes importantes souvent génératrice de doutes et de questionnements, Zohra Kehli semble au contraire avancer sabre au clair, plus déterminée et affairée que jamais.

À la fin du mois de juin, elle se rendra au Caire, en Égypte, pour disputer les championnats d’Afrique d’escrime sous les couleurs de l’Algérie et tenter de remporter au sabre (une des trois armes de cette discipline avec le fleuret et l’épée) un second titre consécutif, en individuel et par équipe, dans cette épreuve.

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Quand elle n’est pas sur la piste ou dans un avion dans le cadre d’une compétition, elle fréquente, avec autant d’assiduité, les bancs de l’université de la Sorbonne et enfile, sur le peu de temps qu’il lui reste, le costume de conseillère municipale déléguée à la petite enfance. Un poste qu’elle occupe à Bagnolet, sa ville de toujours, depuis les dernières élections municipales, il y a trois ans.

« Un tel emploi du temps repose sur une organisation millimétrée, concède Zohra. Je suis titulaire d’une bourse Passeport pour les JO que la Fondation Sorbonne Université a mise en place pour soutenir les sportifs de haut niveau qui souhaitent accéder au rêve olympique. Cela me permet de bénéficier d’horaires aménagés et de jouer ainsi dans les deux tableaux : sport et études. » Une méthode éprouvée car, en attendant de valider son ticket pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 – lors des championnats d’Afrique ? -, la sabreuse vient d’obtenir sa licence d’histoire. L’an prochain, elle enchaînera sur un Master, en sciences politiques ou en relations internationales, elle hésite encore.

 

La famille comme moteur

Ce don d’ubiquité, Zohra l’a depuis sa tendre enfance. « Très tôt, j’ai fait du piano, de l’alto, des cours intensifs de solfège et une activité sportive, raconte-t-elle. Si le sport a fini par l’emporter sur tout le reste, j’ai toujours apprécié le fait de ne pas avoir une minute à moi… Je crois que dans ma vie, je n’ai jamais connu l’ennui. » Comme toute Bagnoletaise qui se respecte, elle souhaitait faire de la lutte (la ville compte, avec le Bagnolet Lutte 93, un des meilleurs clubs français en la matière) mais sa famille l’en a dissuadée, « c’est trop rude », s’entend-elle dire. Alors la petite fille de 5 ans se tourne par hasard vers l’escrime qu’elle découvre à l’occasion d’une journée « portes ouvertes » organisé par le Cercle d’Armes, club (aujourd’hui dissous) localisé à Montreuil. « Cela a été un immense coup de cœur. C’est un sport de combat où on ne se fait pas mal avec un objectif de points à atteindre pour l’emporter : ce challenge m’a tout de suite excitée », se rappelle-t-elle. Zohra se prend de passion pour cette discipline. Elle s’entraîne beaucoup et connaît une progression fulgurante, qui la propulse dans des clubs à chaque fois plus huppés : le Cercle d’Escrime de Vincennes, le Paris Université Club, le Racing Club de France, et enfin, depuis trois ans, la Christian Bauer Académie à Orléans, une structure privée qui accueille la crème de la crème du sabre international. « Christian Bauer est la référence absolue dans l’enseignement du sabre, assure Zohra. Il a formé Jean-François Lamour, double champion olympique en individuel (1984 et 1988), et sous ses ordres, l’Italie (en 2004), la Chine (en 2008) et la Russie (2016) ont remporté plusieurs titres olympiques. »

Comme tous les enfants, la fillette pratique d’abord le fleuret, une arme légère et maniable, mais finit par opter pour le sabre, une discipline requérant beaucoup d’explosivité, où l’on touche à la fois avec la pointe, le tranchant et le dos de la lame sur tout le haut du corps (masque, tronc et bras). « Pour marquer des points, il faut attaquer, ou bien riposter et contre-attaquer. Étant donné qu’il est assez facile de toucher son adversaire, les oppositions sont très rapides. »

Son ambition ? Marcher, ni plus ni moins, sur les pas de son idole, l’Américaine Mariel Zagunis, qui a décroché l’or olympique à Athènes en 2004 et à Pékin en 2008. « J’ai grandi en regardant les exploits de cette formidable athlète, je voulais être à sa place. Chez moi, on m’a toujours dit que c’était possible et on m’a toujours soutenue pour y arriver. Sans ma famille, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. » D’ailleurs, ses parents, professeurs de leur état, acceptent volontiers de fermer les yeux quand leur fille décide de ne rester que trente minutes (sur trois heures) à l’épreuve de SVT, coefficient 6 au bac scientifique, pour ne pas manquer l’avion qui doit l’emmener au Mali disputer les championnats d’Afrique en 2019 – d’où elle repartira avec une médaille de bronze par équipe et, surtout, une qualification pour les JOP de Tokyo. Une incartade qui en valait donc la peine, d’autant qu’elle ne l’empêchera pas d’obtenir son bac cette année-là.

Ambassadrice de l’escrime dans sa ville

Si la championne passe beaucoup de temps à l’extérieur, c’est à Bagnolet, auprès de ses parents et de son grand frère, qu’elle préfère se trouver. Dans le cadre de son activité, elle a voyagé dans une trentaine de pays, s’est nourrie d’expériences mémorables mais à chaque fois, c’est la même histoire : elle se languit de ses proches et n’a qu’une hâte, rentrer au bercail. « J’ai 22 ans mais je n’ai toujours pas coupé le cordon. C’est à Bagnolet que j’ai tous mes repères et où je me sens le mieux », confesse-t-elle en souriant. Une ville qu’elle affectionne tellement qu’elle s’y est engagée politiquement. « En politique, les jeunes sont malheureusement sous représentés. Au niveau local, c’est un peu moins le cas et on peut agir directement auprès de la population, estime l’élue. A travers ma fonction de conseillère municipale, je veux être à la fois le porte-voix de la jeunesse et défendre les valeurs du sport en en faisant la promotion et en en rappelant l’importance lors de divers événements organisés dans la ville et les écoles. »

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Zohra entend aussi profiter de son aura pour déconstruire l’idée selon laquelle l’escrime est une discipline réservée à une élite comme le tennis, le golf ou l’équitation. « La présence d’une dizaine de clubs en Seine-Saint-Denis prouve que ce sport peut être pratiqué partout et facilement. L’équipement est onéreux certes, mais de plus en plus de clubs proposent de le louer », plaide l’escrimeuse. Pour elle, la démocratisation de l’escrime passe en premier lieu par un enseignement dès l’école élémentaire, au même titre que le volley, le foot ou le basket. « Le plaisir est immédiat car c’est un sport ludique. On attaque, on défend, on se déplace beaucoup, il y a de nombreuses similitudes avec la boxe, les chocs en moins. »

Née Française et Algérienne, Zohra n’a, à la différence d’autres sportifs binationaux, pas opté pour le pays de ses origines pour se donner plus de chances de goûter aux joies de la sélection et ainsi participer régulièrement à des épreuves de haut niveau. Son choix, elle l’a fait pour rendre hommage à ses aïeux, dont certains ont pris les armes pendant la guerre d’Algérie. Un pays avec lequel elle entretient une relation privilégiée et dont elle est fière de porter les couleurs. Appelée à disputer plusieurs compétitions internationales cet été (les championnats d’Afrique à la fin de juin puis en juillet, les Jeux arabes à Alger et les championnats du monde à Milan), la spécialiste du sabre aura maintes occasions pour tenter de se qualifier aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris-2024. « Je veux à tout prix conjurer le mauvais sort car en 2021, j’ai été testée positive à la Covid-19 et je n’ai pas pu participer aux Jeux de Tokyo, révèle-t-elle. Si le virus n’a eu aucun effet sur moi, le forfait, lui, a été une véritable douche froide, il m’a plongée au fond du trou et j’ai mis du temps à m’en remettre. » Un esprit de revanche doublé d’une détermination d’autant plus important qu’aucun athlète algérien n’a à ce jour remporté un titre olympique en escrime. De quoi sabrer le champagne…

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Valérie
23 heures il y a

Bravo Félicitations ..parcours époustouflant!Bel exemple de la jeunesse positive du 93!

Valérie
23 heures il y a

Bravo Zohra K.et félicitations à cette jeunesse positive du 93 qui réussit! Exemple de réussite par le travail et le sérieux!

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