« L’olympisme est le miroir de l’évolution des sociétés, des idéologies, des mythes qu’elles construisent, la place faite aux minorités… » explique Frédéric Ferrer, agrégé de géographie et diplômé dans les arts du spectacle. Ce conférencier de génie, un brin barré, a fourni un énorme travail pour ausculter l’histoire de quinze épreuves sportives sur les 329 qui vont être représentées pour Paris 2024. Accompagné par une dramaturge, il a écrit une série de conférences décalées sur le judo, le break-dance, le handball, baptisées judicieusement Olympicorama, présentées dans toute la France et à l’étranger. Une gageure pour ce comédien qui, de son propre aveu, « ne connaissait pas grand-chose à l’olympisme » avant de se lancer dans cette aventure.

Immergé dans son terrain d’étude

Passionné par la scène et son rapport privilégié avec le public, Frédéric Ferrer fonde à Montreuil en 2001 la compagnie Vertical détour, composée d’une dizaine de personnes (permanentes et intermittentes), dont les bureaux ont aujourd’hui déménagé à Bagnolet. En résidence à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard à Neuilly-sur-Marne de 2005 à 2015, la troupe a créé, en partie avec les malades, plusieurs spectacles joués dans ses majestueuses anciennes cuisines, entre autres sur le thème de la paranoïa et autour des écrits de l’écrivain Antonin Artaud, qui a fréquenté cet établissement. « Pendant dix ans, nous avons essayé de casser les clichés sur ces lieux d’enfermement, en interprétant devant les patient·e·s, personnel·le·s et habitant·e·s des oeuvres écrites en lien avec les lieux ou les thématiques qui nous intéressaient » confie-t-il. Depuis 2016, la compagnie poursuit ce projet de fabrique artistique dans le lieu de création Le Vaisseau du Centre de réadaptation de Coubert, en Seine-et-Marne.

Amateur de sujets « borderlines » sur les dérèglements du monde, l’artiste met en scène en 2005 « Mauvais temps », une conférence sur les paysages mentaux et les perceptions intimes de la nature, suivie de « Kyoto forever 1 », (puis 2), qui interrogent l’efficacité des sommets internationaux consacrés au changement climatique. « Depuis ma rencontre avec la paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte, le thème de l’effondrement prévisible de la bio-diversité n’a pas cessé de m’intéresser et je tente d’employer l’enquête scientifique ainsi que le sens de l’absurde pour mettre en jeu ou questionner notre monde » déclare-t-il.

Ultra-prolifique, l’acteur et metteur-en-scène se plonge dans la littérature savante pour faire connaître les analyses des scientifiques sur les bouleversements du vivant. Dans l’« Atlas de l’anthropocène », l’artiste développe un cycle artistique de cartographies théâtralisées du monde où il interroge de façon décalée certains signaux d’effondrement des espèces (« À la recherche des canards perdus », « Les déterritorialisations du vecteur », « Pôle Nord », « Les Vikings et les satellites »)

 

Marathon Olympicorama
Le performeur a reçu de nombreux·euse·s athlètes olympiques à la fin de ses « seuls en scène ». Parmi eux·elles : la lanceuse de disque Mélina Robert-Michon, la sauteuse en hauteur Mélanie Skotnik, le rameur Augustin Maillefer…

Un marathon Olympicorama avant les Jeux de Paris

Attiré par les défis « encyclopédiques », Frédéric répond en 2019 une commande de la Villette à Paris, qui a été séduit par le style inimitable de ses « conférences désopilantes » et son image de savant lunaire attachant. Pendant des mois, il épluche les sources écrites ou télévisuelles, rencontre des sportif·ve·s de haut niveau, des spécialistes… pour maîtriser l’histoire et l’âme de quinze épreuves des JOP. « Je plonge dans l’histoire des sports, ses pratiques, ses athlètes vedettes… qui sont toujours aujourd’hui les héros de notre temps » explique-t-il.

Le propos est aussi spirituel qu’excitant, à l’image du chapitre consacré au « noble art » donné récemment à Bobigny où il évoque les combats au poing des Australopithèques, son passage d’une pratique aristocratique à un véritable show, les combats mythiques de Mohamed Ali… L’auteur examine également l’instrumentalisation du sport par le pouvoir, la mythologie des stades et la lente réduction des discriminations au fil des années avec son ouverture aux femmes à partir de 1924 (suite au combat de la rameuse Alice Millat) et aux personnes en situation de handicap lors des premiers Jeux paralympiques en 1960 à Rome.

Dans la dernière partie de ses conférences d’un nouveau genre, Frédéric Ferrer invite des athlètes olympiques ou des sportif·ve·s issu·e·s de clubs locaux comme Sharon Dorson, la pépite franco-congolaise de Noisy-le-Grand handball,  l’actrice Chérine Ghemri membre de l’AC Bobigny Boxe ou l’ailier gauche néo-international Antoine Léger qui a rejoint le Tremblay Handball. Des grands noms de l’olympisme comme la sprinteuse Christine Arron, l’haltérophile Vencelas Dabaya ou le pongiste Thomas Bouvais ont aussi réalisé des démonstrations de leur sport sur la scène du conférencier.

 

Marathon Olympicorama
Avec l’énergie d’un marathonien, Frédéric Ferrer a réalisé des centaines de performances dans toute la France, mais aussi en Suisse et au Maroc.

Par ces rencontres détendues avec ces figures du sport, l’acteur cherche à démocratiser la pratique de certaines disciplines et à casser le mythe de pratiques trop élitistes pour le commun des mortels. Un pari collectif d’autant plus accessible qu’avec les JOP de Paris, les Séquano-Dionysien·ne·s vont bénéficier d’un héritage colossal avec cinq piscines construites ou rénovées, des murs d’escalade au Bourget, le PRISME (un hub du sport inclusif) à Bobigny, des équipements restaurés… Après avoir vu les spectacles du professeur Ferrer, vous n’aurez désormais plus d’excuses de ne pas enfiler vos baskets !

Carine Arassus

Crédit-photo : Héloïse Philippe

Les prochains spectacles Olympicorama

– Le marathon vendredi 31 mai à l’Espace 1789 à Saint-Ouen-sur-Seine
– Le fleuret, le sabre et l’épée jeudi 6 juin à la Salle Pablo-Neruda à Bobigny
– Le marathon mardi 25 juin à La Villette à Paris
– Le saut en hauteur jeudi 27 juin à La Villette à Paris
– Le handball samedi 29 juin à La Villette à Paris
– Le 100 mètres mardi 2 juillet à la Villette à Paris
– La mouche et le super-lourd (boxe) jeudi 4 juillet à la Villette à Paris
– Le tennis de table samedi 6 juillet à la Villette à Paris