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Mustapha Badid : sur la piste d’un champion (1ère partie)
Mustapha Badid est l’un des pionniers du para-athlétisme. Six fois médaillé d’or paralympique, cet habitant de Saint-Denis était le symbole du para sport français des années 80. Mais depuis des années, après son départ pour les USA, plus de nouvelles, plus d’interview. Personne ne savait où il était. Après une longue enquête, notre journaliste l’a retrouvé et convaincu de nous accorder un entretien exclusif.
Un an et demi avant le début des Jeux paralympiques de Paris 2024, pour une grande part en Seine-Saint-Denis, il était indispensable de retrouver Mustapha Badid. Retrouver celui qui s’entraînait dans son fauteuil le long des rues de Saint-Denis, arpentant tant de fois le parking de Carrefour que l’enseigne finit par le sponsoriser. Celui qui, à la tombée du jour, roulait jusqu’au Parc municipal des sports d’Epinay pour y enchaîner les tours de piste, à bout de bras, dans un fauteuil propulsé par des biscottos, pistons larges comme des cuisses, et, boxé par des mains caparaçonnées dans des gants de BMX enveloppés de kilomètres d’Elastoplast. Retrouver cette légende, cette vraie grande de l’histoire paralympique française et internationale, s’imposait.
J’avais eu la chance de le voir courir aux Jeux olympiques de Séoul. Pour la première fois, les Jeux paralympiques avaient le droit de succéder aux Jeux olympiques dans les mêmes enceintes sportives. Dans le 1500 mètres fauteuil, Mustapha Badid signait une démonstration devant le monde entier : un extérieur dans les 100 derniers mètres pour coiffer d’un boyau deux adversaires.
Sa médaille d’or à Séoul était celle d’une rage de vaincre peu commune, rugissant sur la ligne d’arrivée, avec une image qui lui colla à la peau toute sa carrière. Ses poings levés dans le ciel signaient un parfait «V» de la victoire. Et, avec son tronc, jusqu’au «Y», d’un «Yes» comme une signature en bas d’un chrono. Au passage, ce licencié au Racing Club de France remporta, aussi, à Séoul, l’or sur 200 m, le 5000 m et le marathon, l’argent sur le 100 mètres.
Après son or de Los Angeles en 1984 sur 800 mètres, passé inaperçu dans un monde tournant alors le dos aux «Handis», cette récolte à Séoul avait inscrit Mustapha Badid, sans guiboles, sprintant naturellement comme dans un fauteuil, dans l’histoire du sport. Du sport, tout court.
Dans la foulée de ses quatre médailles d’or, seule la ville de Saint-Denis eut la classe de lui trouver un appartement accessible. Jusqu’en 1992, «Mouss» s’entraîna dans ses rues.
« Mouss » désormais introuvable
A 500 jours des Jeux, le retrouver, alors que les réseaux sociaux dévoilent si facilement nos vies, que tout indiquait qu’après y avoir écumé les courses longue distance il était resté aux USA, que l’annuaire de Dallas dévoilait plusieurs numéros à son nom, me semblait une course gagnée d’avance.
Mais après 20 jours, rattraper «Mouss» s’avéra, rapidement, une course d’obstacles, limite une course contre le temps…
Elle partait comme un marathon : des messages laissés ici et là, en français, en anglais, sans l’assurance qu’ils soient arrivés à destination, sans l’assurance que son destinataire les ait lus, vus, pris en compte, sans assurance qu’une tierce personne lui ait fait suivre.
A 450 jours, Dominique Le Glou, ancien journaliste de France Télévision ayant grandi à Stains, toujours partant sur un sujet handisport à l’heure où une très grande majorité de nos confrères les fuyaient, qui avait écrit un livre intitulé Mouss et était présent à son mariage quelques années en amont, était aussi «sans vraiment de nouvelles depuis…(…). Désolé de ne pas pouvoir mieux vous aider. Tenez-moi, s’il vous plaît, au courant, si vous le retrouvez…». Hum, mauvais signe ?
A 420 jours, même ses copains de cette époque pionnière des fous du fauteuil roulant à deux roues étaient «sans aucune nouvelle de lui…».
A 400 jours, Mustapha Badid, né avec une maladie congénitale lui interdisant de tenir debout, lui interdisant l’accès d’une école à cause de trois marches impossibles à franchir en béquilles jusqu’à le condamner à les amputer, devenait une légende insaisissable.
A l’heure où TOUS les autres champions ressortaient des tablettes, sollicités par la presse, leur Fédération de tutelle, et le COJOP, pour être honorés à Paris, lui restait in-trou-va-ble.
Pourtant, j’avais la conviction que «Mouss» vivait toujours, qu’il ne pouvait pas manquer Paris, ne pas revenir sur ses terres de Seine-Saint-Denis à l’heure où le Prisme, futur centre d’entraînement dédié aux athlètes « handis », allait ouvrir ses portes à Bobigny.
La légende fait la morte…
Au moment de fêter l’inclusion par le sport, il était indispensable de recueillir son témoignage, ses souvenirs, sa conviction.
Ayant eu la chance de l’interviewer à l’INSEP au début de sa carrière, je me rappelais sa voix toujours douce et son ton passionné. Il me racontait alors comment, sans jambes après son opération, il avait débuté l’athlétisme dans un centre de rééducation pour accidentés de la route, ses premiers sprints sur trois tours de piste, boxant ses roues comme si toute sa survie en dépendait. Le chrono chuchota alors à la piste qu’elle tenait là une étoile pas comme les autres.
A 365 jours de Paris 2024, entendre sa voix devenait une course folle. D’autres médias, beaucoup d’autres, qui le pistaient aussi, se cassaient le nez. Et moi, je rentrais juste en chimio pour un duo de cancers, pas certaine de pouvoir continuer à tenir la distance…
Une nuit d’août de canicule, une nuit blanche après une perfusion uppercut, celle qui fait descendre encore d’un sous-sol, j’ai appelé, à deux heures du matin, un numéro sur WhatsApp. Là où, quelques jours auparavant, deux traits bleus indiquaient que mon dernier message avait été lu…
Sophie Greuil