Les épreuves de break ont vu s’affronter 36 athlètes du monde entier les 9 et 10 août sur le parc urbain de la Concorde. Quel bilan tirez-vous de cette rencontre ? 

Au niveau international, les B Boys et B Girls ont fait du très bon boulot, en créant un beau spectacle grâce à leurs prouesses techniques et leur compétences artistiques. Le public hyper chaleureux les a incités à pousser les performances le plus loin possible, dans une ambiance de respect pour chaque athlète et pour chaque nationalité.

Les membres de l’Equipe de France (Dany Dann, Sya Dembélé, Gaëtan Alin, Carlota Dudek…) ont été accompagnés comme de véritables athlètes, avec l’ouverture d’un pôle Break sur le site de l’INSEP, des équipements, un staff technique et médical qui les suivait même sur le plan alimentaire, le soutien de sponsors… Tout ceci leur a permis de se consacrer à 100% à leur discipline, ce qui a été très utile puisque Dany Dann a arraché la médaille d’argent.

Les grandes nations ont un accompagnement comparable qui leur permet d’aller très haut. Par ailleurs, le mouvement breaking s’est considérablement structuré dans notre pays depuis 4 ans avec la mise en place de référents sur le territoire, de championnats réguliers avec des jurés formés, d’un certificat d’entraîneur de breakdance… La France a réussi à constituer ce circuit fédéral donnant aux danseurs le plus d’opportunités possibles. De même, on a réussi à transformer un art de rue en discipline olympique sans le dénaturer, en valorisant lors des battles des JOP l’originalité, la musicalité… permettant à ceux que j’appelle les “art athlètes” de s’exprimer sur la piste.

En tant que référent Ile-de-France pour les JOP depuis 4 ans et “parrain” du break en France, qu’avez-vous ressenti pendant ces compétitions ? 

Je n’étais pas sur scène mais pourtant je me sens lessivé après deux jours où j’ai vécu des émotions très intenses, des moments de joie, d’exaltation, parfois des instants de dépit… Mais ces deux jours ont été hyper-enrichissants sur le plan humain, au niveau des échanges, de la découverte de la personnalité des candidats, de leur fair-play…

Savez-vous que Dany Dann, le vice champion olympique, a eu une rupture des ligaments d’une cheville, un mois avant la finale des JO ? Il a surperformé malgré cette blessure, en tenant grâce à un mental d’acier. Gaëtan Alin – ou B Boy Lagaët – éliminé aux qualifications, a permis indirectement à Dany Dann d’affronter des adversaires plus faciles que ceux qu’il a dû challenger, facilitant son obtention de la médaille.

 

Gaëtan Alin – alias B Boy Lagaet – a enchaîné des figures acrobatiques : thomas, air flare, spins…

Lagaët, que j’ai accompagné deux ans au club VNR d’Aulnay-sous-Bois (NDLR : le club de break fondé par Pascal-Blaise Ondzie) a accepté avec philosophie et son côté très cool sa défaite, ce qui m’a fait sourire. Car au-delà des performances, le break, c’est aussi des valeurs, le respect de l’autre, le vivre-ensemble quelles que soient son origine, sa nationalité… Et les embrassades entre challengers après les battles m’ont ému, confirmant que les principes olympiques et l’esprit du hip-hop sont bien universels.

Quels jugements portez-vous sur les performances des “art athlètes” ? Correspondent-ils à ce que vous imaginiez ?  

J’imaginais un très bon niveau, mais là, c’était bien au-delà ! Les Français ont tous donné même si seul Dany Dann a atteint la consécration en finale, chose plutôt atypique pour un danseur de 36 ans. J’avais prévu une médaille pour la France et je ne me suis pas trompé… car nous sommes un pays de hip-hop. A la Concorde, nos athlètes ont alterné les figures au sol et debout avec beaucoup de fluidité, une certaine musicalité, un côté taquin et complice avec le public pour Lagaët.

On retrouve souvent une forme de signature dans les figures réalisées par les B Boys et B Girls. Les Américains sont très créatifs et aiment innover avec un goût plutôt assumé pour le spectacle. Les Asiatiques, de leur côté, proposent des enchaînements très techniques, toujours très propres et maîtrisés… Mais chaque athlète a sa propre personnalité, ses influences qui transparaissent dans les créations, en partie improvisées.

Dany Dann et Gaëtan Alin viennent tous deux des DOM-TOM (respectivement de Guyane et de Martinique) et j’ai senti que leurs origines métissées perçaient dans les propositions artistiques.

 

Le break ne devrait pas faire partie du programme des Jeux de Los Angeles en 2028. Malgré ceci, comment voyez-vous l’avenir du breaking ? 

Ceci n’a pas encore été tranché… Le succès public rencontré par notre discipline lors des Jeux aurait incité les organisateurs à revenir sur cette décision donc je garde bon espoir pour 2028… Je dis souvent que le break rentre partout et se transforme en permanence, en ne rentrant dans aucune case. Les JOP lui ont apporté une extraordinaire visibilité et une reconnaissance officielle. On devrait avoir une augmentation importante des pratiquants et un engouement des jeunes générations.

De nombreux enjeux attendent cette discipline comme le développement de son aspect éducatif dans les quartiers, son appropriation par les acteurs locaux, le soutien des associations de breaking, sa vulgarisation auprès des médias et du grand public… En Seine-Saint-Denis, on a pas mal de pionniers comme les danseurs Rodrigues, Xavier Plutus, Karima Khelifi…, membres du crew Aktuel Force (un des premiers groupes de hip-hop en France), qui transmettent leur art aux plus jeunes depuis des années. J’espère que la flamme du breaking, portée par tant de passionné·e·s, restera éternelle… et éternellement enrichie de l’apport de tous.

Carine Arassus

Crédit-photo : Bruno Lévy

 

Découvrez notre reportage sur le film “Le monde de demain” retraçant la formation du groupe NTM en Seine-Saint-Denis.
A lire aussi : Le Département de la Seine-Saint-Denis a approuvé fin 2023 un plan hip-hop pour accompagner l’émergence de projets, des artistes en devenir, des disciplines associés…
Pour aller plus loin : Le collège Fédérico-Garcia-Lorca de Saint-Denis a créé en mai une section breaking avec des élèves qui s’entraînent trois heures par semaine.